"La mobilité sociale est en panne"
"La mobilité sociale est en panne":
Dans un entretien publié sur le site de l'Observatoire des inégalités Camille Peugny, sociologue, maître de conférences à l'université de Paris 8 explique pourquoi notre pays traverse une période de stagnation de la mobilité sociale. Ainsi, si paradoxalement les jeunes sont mieux formés et font des études plus longues que leurs parents, ce n'est pas la garantie d'un changement de catégorie socio-professionnelle.
EXTRAITS
Que mesure-t-on avec la mobilité sociale ?
Dans sa définition la plus simple, la mobilité sociale mesure la part de personnes qui ont changé de catégorie socioprofessionnelle par rapport à leurs parents. Cette mobilité peut être ascendante ou descendante. Avec la très forte croissance de l'après Seconde Guerre mondiale qui a permis à beaucoup d'individus issus des classes populaires de s'élever au-dessus de la condition de leurs parents, on a eu tendance à assimiler mobilité sociale et promotion sociale. Mais plus de mobilité peut aussi signifier plus de trajectoires descendantes, donc plus de situation de déclassement, lorsque la conjoncture se dégrade et que la structure sociale évolue moins rapidement vers le haut.
Vous expliquez que nous sommes dans une phase de stagnation de la mobilité. Finalement, dans une période de croissance lente, ce n'est pas si mal comme résultat.
Au début des années 1980, 83 % des fils d'ouvriers et employés sortis de l'école depuis 5 à 8 ans devenaient eux-mêmes ouvriers ou employés. Aujourd'hui, la proportion est de 73 %. Cette diminution de 10 points est évidemment positive mais appelle néanmoins plusieurs commentaires. D'abord, près des trois quarts des enfants des classes populaires qui demeurent dans la même position sociale, c'est tout de même beaucoup. Ensuite, l'évolution de la mobilité doit être mise en rapport avec l'élévation du niveau d'éducation : les enfants d'ouvriers et d'employés sont beaucoup mieux formés aujourd'hui qu'hier et font des scolarités moyennes significativement plus longues de sorte que le « gain » obtenu semble bien modeste. Enfin, en même temps, la probabilité des enfants de cadres de devenir cadres eux-mêmes a augmenté, passant de 33 à 40 %. Au total donc, la mobilité sociale ne progresse plus réellement pour les générations nées à partir des années 1960, contrairement aux précédentes. La situation des enfants d'ouvriers s'est légèrement éclaircie, mais pas plus que ne s'est améliorée encore celle des enfants nés dans des milieux plus favorisés, de sorte qu'au final, les progrès en termes de fluidité sociale sont extrêmement ténus. Ces destins si contrastés en fonction de l'origine sociale soulignent que la société française, de ce point de vue, demeure une société de classes dans laquelle il existe des univers de vie très différents, qui ne préparent pas du tout aux mêmes trajectoires, contrairement à l'idéologie du mérite, de plus en plus pesante, selon laquelle « quand on veut, on peut ». Bref, les inégalités sociales au sein d'une même génération demeurent béantes. Pour faire face à la crise, les ressources économiques et culturelles héritées des générations précédentes redeviennent décisives.
Que mesure-t-on avec la mobilité sociale ?
Dans sa définition la plus simple, la mobilité sociale mesure la part de personnes qui ont changé de catégorie socioprofessionnelle par rapport à leurs parents. Cette mobilité peut être ascendante ou descendante. Avec la très forte croissance de l'après Seconde Guerre mondiale qui a permis à beaucoup d'individus issus des classes populaires de s'élever au-dessus de la condition de leurs parents, on a eu tendance à assimiler mobilité sociale et promotion sociale. Mais plus de mobilité peut aussi signifier plus de trajectoires descendantes, donc plus de situation de déclassement, lorsque la conjoncture se dégrade et que la structure sociale évolue moins rapidement vers le haut.
Vous expliquez que nous sommes dans une phase de stagnation de la mobilité. Finalement, dans une période de croissance lente, ce n'est pas si mal comme résultat.
Au début des années 1980, 83 % des fils d'ouvriers et employés sortis de l'école depuis 5 à 8 ans devenaient eux-mêmes ouvriers ou employés. Aujourd'hui, la proportion est de 73 %. Cette diminution de 10 points est évidemment positive mais appelle néanmoins plusieurs commentaires. D'abord, près des trois quarts des enfants des classes populaires qui demeurent dans la même position sociale, c'est tout de même beaucoup. Ensuite, l'évolution de la mobilité doit être mise en rapport avec l'élévation du niveau d'éducation : les enfants d'ouvriers et d'employés sont beaucoup mieux formés aujourd'hui qu'hier et font des scolarités moyennes significativement plus longues de sorte que le « gain » obtenu semble bien modeste. Enfin, en même temps, la probabilité des enfants de cadres de devenir cadres eux-mêmes a augmenté, passant de 33 à 40 %. Au total donc, la mobilité sociale ne progresse plus réellement pour les générations nées à partir des années 1960, contrairement aux précédentes. La situation des enfants d'ouvriers s'est légèrement éclaircie, mais pas plus que ne s'est améliorée encore celle des enfants nés dans des milieux plus favorisés, de sorte qu'au final, les progrès en termes de fluidité sociale sont extrêmement ténus. Ces destins si contrastés en fonction de l'origine sociale soulignent que la société française, de ce point de vue, demeure une société de classes dans laquelle il existe des univers de vie très différents, qui ne préparent pas du tout aux mêmes trajectoires, contrairement à l'idéologie du mérite, de plus en plus pesante, selon laquelle « quand on veut, on peut ». Bref, les inégalités sociales au sein d'une même génération demeurent béantes. Pour faire face à la crise, les ressources économiques et culturelles héritées des générations précédentes redeviennent décisives.
Camille Peugny vient de publier « Le destin au berceau. Inégalités et reproduction sociale », ed. Seuil-République des idées, 2013. |
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